Cette affirmation semble si simple, mais est trop souvent oubliée en pratique au cabinet quand nous gérons la douleur d’un patient.
Ce n’est pas de notre faute, car nous avons appris la neurophysiologie de la douleur (pour ceux qui s’en souviennent) avec les termes suivants, qui sont érronés :
Il est donc très logique, devant un symptôme douloureux de chercher à comprendre : quels sont les messages douloureux et les récepteurs ou les voies de la douleur impliqués dans cette douleur.
A force d’entretenir cette démarche, nous nous focalisons sur la douleur et nous rappelons au patient qu’il a mal, et qu’il faut trouver la cause de cette douleur pour la traiter.
Et à force de chercher une possible cause, on trouve, ou on croit trouver, ou mieux encore, on invente une cause ; qu’elle soit anatomique, biomécanique, posturale ou autre (dysfonction somatique, blocage, subluxation, lésion primaire ou déséquilibre fluidique/énergétique pour les plus inventifs…).
C’est tout a fait conforme au modèle biomédical de la douleur.
Rappelez vous (voir chapitre 1) que ce modèle n’est pas forcément le plus approprié pour prendre en charge une douleur qui n’est pas d’origine pathologique et/ou traumatique.
Avant de nous attaquer à la physiologie de la nociception et de la douleur (chapitre suivant) voici quelques exemples de lésions/nociception sans douleur ou de douleur sans lésion/nociception :
Lésions sans douleur:
Vous êtes vous déjà rendu compte de manière fortuite d’une echymose sur une partie de votre corps sans vous souvenir de vous être cogné ou blessé ? C’est une lésion des capillaires et des veines, et pourtant celle ci n’a pas forcément déclenché de douleur.
D’autres témoignages sont plus frappant . Plusieurs soldats ont rapporté ne pas avoir senti s’être fait touché par des balles sur le champ de bataille (Butler et Moseley, Explain Pain).
Le témoignage de Ronald Reagan sur son expérience de douleur lors de la tentative d’assasinat est identique, il raconte qu’il n’a pas senti la balle lui traverser les poumons, mais a senti la douleur sur sa cage thoracique uniquement au moment où son garde du corps s’est jeté sur lui pour le protéger. Il s’est même dit sur le moment que celui-ci avait du lui casser quelques côtes. La douleur s’est intensifiée à la vue du sang sur sa chemise.
Certains surfeurs ont le même type de témoignage. C’est le cas de Betany Hamilton, adolescente à l’époque, qui s’est fait arracher le bras par un requin tigre : « j’étais juste sous le choc et je n’ai ressenti aucune douleur. Heureusement car les choses ne se seraient pas passées aussi bien si j’avais eu mal »
Je vous invite à lire le livre d’Aron Ralston qui raconte comment il s’est coupé le bras pour sortir du ravin dans lequel il était piégé, pour comprendre combien la douleur n’est pas forcément proportionelle au dommage tissulaire.
Maintenant si l’on sort de simples témoignages et que l’on étudie des populations asymptomatiques (donc sans douleur) on se rend compte qu’à différents endroits du corps, on trouve des images radiologiques témoignants de « lésions » :
Incidence des dégénérescences rachidiennes sur une population asymptomatique
Au delà du fait que nous pourrions présupposer (comme ce que suggèrent les auteurs des différentes études) que ces images radiologiques ne sont que le résultat d’un processus évolutif de vieillissement naturel du corps (Greg Lehman parle de « rides » des articulations) , il n’en demeure pas moins que les hernies discales, les ruptures de coiffe ou les déchirures de labrum sont bien des « lésions », qui peuvent ne pas être douloureuses du tout.
Douleur sans lésion ni nociception :
Exemple d’amplification somatique :
Fisher et al 1995 (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2908292 ), rapporte dans le British Medical Journal le cas d’un ouvrier qui tomba sur un clou de 15 cm transperçant sa botte au niveau de l’avant pied. L’homme était tellement à l’agonie qu’il a du être sédaté en salle d’urgence. Quand la botte a été coupée il s’est avéré que le clou était passé entre les orteils !! La douleur était provoquée uniquement par une perception erronée du danger.
L’allodynie en est un autre exemple : sans dommage tissulaire, un stimulus non nociceptif redéclenche de la douleur : en plus simple, le système nerveux confond la stimulation d’une plume à celle d’un chalumeau.
On retrouve ces signes cliniques dans certaines douleurs chroniques. Dans le cas des douleurs chroniques, il n’y a souvent aucun dommage tissulaire ou déficience anatomique présents (Van Wilgen et Keizer 2012 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22341140).
L’algo-hallucinose (douleur fantôme) est aussi un cas de douleur sans nociception : les personnes décrivent des perceptions douloureuses sur des membres amputés.
En pratique au cabinet ?
Gardez toujours à l’esprit que la quantité de douleur dont le patient fait l’expérience n’est pas forcément proportionnelle aux dommages tissulaires, elle est proportionnelle au niveau de danger perçu par le cerveau.
Dans le cas de l’ouvrier tombé de l’échelle, c’est plutot clair : les processus centraux du système limbique ont suffit à eux seuls à générer cette douleur.
Dans le cas de la jeune surfeuse, le cerveau a préféré lui sauver la vie, plutôt que de lui signaler le danger de son bras arraché.
Dans le cas des douleurs chroniques, les facteurs psycho-sociaux peuvent être des sources de dangers potentiels qui augmentent et maintiennent cette douleur .
Par exemple une douleur d’entorse qui dure après le temps de guérison des tissus peut s’expliquer par plusieurs facteurs :
Une fois le danger maintenu dans le temps la neuromatrice (voir chapitre 1) prend le relais, et peut engendrer des associations (loi de Hebb : les neurones se déclenchant ensemble finissent par se connecter, par exemple mouvement=douleur) ou des systèmes de protection neuro-musculaire maladaptatifs au mouvement, qui se mettent en place pour protéger d’un faux danger.
Dans ce cas de « douleur d’origine centrale » (voir chapitre suivant), la stratégie thérapeuthique devra se concentrer d’avantage sur la désensibilisation du système nerveux (éducation aux neurosciences du patient, identification des facteurs psychosociaux et mise en exposition progressive etc…) que sur de la thérapie manuelle passive (manipulation, massage, écoute tissulaire…).
Au programme du prochain billet : Nociception, Sensibilisation Périphérique et Centrale , Modulation et Douleur.
Conseils de lecture :
Explain Pain de D. Butler et L.Moseley
Painfull Yarns, Lorimer Moseley
A guide to better movement, Todd Hargrove
Je suis ostéopathe, d’abord clinicien et puis mon parcours m’a amener a participer à des projets de recherche et d’enseignement.
A la sortie de mes études, remplies de dogmes thérapeutiques de la SEO (sainte église ostéopathique), je ne savais pas faire grand chose, et je ne comprenais pas pourquoi mes traitements fonctionnaient ou pas. Cette approche ne convenait pas à ma démarche d’analyse critique. J’ai donc choisi de suivre un parcours plus universitaire et je me suis plongé dans l’Evidence Base Medecine en participant à des publications d’articles scientifiques et en travaillant sur des projets de recherches (toujours en cours). Et je me suis rendu compte que comme dans le monde de l’ostéopathie, la médecine était aussi pleines de fausses croyances, et que leur modèle biomédical de la prise en charge de la douleur ne convenait pas vraiment.
C’est dans les neurosciences que j’ai pu enfin trouvé la voie du milieu entre tradition et sciences biomédicales.
Je me suis donc intéressé aux mécanismes neurophysiologiques de la douleur et grâce au courant Australien très en pointe (Robert Elvey, Lorimer Moseley, David Butler, Peter O’sullivan…) j’ai trouvé un intérêt particulier à prendre en charge la douleur sur le modèle bio-psycho-social, en portant un intérêt particulier aux douleurs du nerf (neuropathique). Dans le suivi des travaux d’Elvey, c’est en 2007 que j’ai eu la chance de rencontrer et suivre un élève de Bob Elvey, Philip Moulaert que j’assiste maintenant.
Durant mes différentes formations à l’étranger je me suis rendu compte qu’il y a avait peu de français. Je me suis aussi rendu compte que la langue était un barrage à l’arrivée des découvertes révolutionnaires de ces 15 dernières années, qui sont en train de changer la thérapie manuelle. Je voulais partager cela avec les thérapeutes manuels qui sont intéressés par ces informations mais qui n’ont pas le temps ou la compétence pour s’informer sur le sujet.
Les post sur ce blog auront donc deux buts :
• apporter des informations à jour sur la douleur et la thérapie manuelle,
• susciter l’analyse critique de notre pratique au vu des meilleurs niveaux de preuves disponibles
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Je trouve ça facinant !
Mais comment résoudre cette problématique ? Comment on peux communiquer avec le cerveau des patients pour gérer cette douleur ?
C’est comme même notre tâche de soulager les patients ..
Najla El Aouad
Ostéopathe – Kinésithérapeute