Douleur dans la fesse et syndrome du piriforme : définitions et controverses

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Douleur dans la fesse et syndrome du piriforme : définitions et controverses

  • COMPRENDRE CE QUI FONCTIONNE OU NE FONCTIONNE PAS 
  • .

 

Cet article s’adresse aux thérapeutes manuels et aux patients qui souhaitent mieux comprendre, prendre en charge et conseiller leurs patients souffrant de douleurs fessière et à toute personne recherchant des solutions pour améliorer leur propre état de santé.

Nous allons (re)visiter un mythe de la thérapie manuelle : le syndrome du piriforme.

  • La situation de départ est simple et idyllique : c’est l’histoire d’un nerf (le sciatique) qui traverse un muscle de la fesse (le piriforme) : quand le muscle se tend, il comprime le nerf et cette compression génère une douleur. La prise en charge de cette douleur est simple et logique : il faut décomprimer le nerf, en détendant le muscle… et tout rentre dans l’ordre en une séance. 

Ça, c’est l’une des choses que j’ai appris à l’école ; et en discutant avec de nombreux confrères et consoeurs ostéos et kinés, je constate que c’est encore la pensée dominante.

La raison qui me pousse à écrire cet article, c’est à nouveau la distance qui existe entre la théorie enseignée et la réalité de la pratique clinique. Autrement dit, ce sont les “claques” prises en cabinet. J’espère que ce partage vous permettra de gagner du temps et d’en faire gagner.

  • Je me souviens du moment où j’ai étudié ce sujet à l’école et du sentiment que j’ai ressenti : que je faisais un super job, que c’était super de pouvoir prendre en charge ce genre de problème sans recourir à des médicaments. Génial.

Sauf que… j’ai essayé les différentes méthodes de traitement de ce syndrome du piriforme : étirement, massage, ponçage etc… et malheureusement, globalement, ça ne fonctionnait pas bien et les promesses de simplicité et d’efficacité n’étaient pas au rendez-vous.

Je me retrouvais dans une situation classique : je ne comprenais pas pourquoi ce que je faisais fonctionnait, ou ne fonctionnait pas. Bref, j’étais dans le noir. J’ai regroupé dans ce billet de vlog les différentes sources qui m’ont permis de mettre de la clarté dans ‘tout ça”.

  • Pour rappel à ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis ostéopathe de formation et  la majeure partie de ma patientèle est constituée de personnes souffrant de rachialgies (traduction pour les patients : douleur de la colonne vertébrale).

Parmi elles, un bon nombre se plaint de douleurs dans la fesse, avec parfois des irradiations dans la cuisse faisant penser à une sciatique. 

CE QUE J’AI APPRIS DURANT MES ETUDES – ET VOUS ?

  • J’avais appris, en très résumé, qu’une douleur de fesse irradiant dans la jambe était généralement due à une compression du nerf sciatique :
  • soit par une hernie discale dans la colonne vertébrale,
  • soit lors du passage du nerf dans les muscles profonds du bassin, pelvi-tronchantériens, dont le fameux pirifome,
  • soit par une tête…. 😉

  • Et que, quand un patient se présentait en consultation avec ce type de demandes :
  • soit il avait des signes neurologiques à l’examen clinique et alors il fallait s’orienter vers une prise en charge de conflit disco-radiculaire,

soit il n’y avait pas de signe neurologique et/ou d’imagerie et alors il fallait s’orienter vers une détente/décompression du piriforme.

ET DANS L’HISTOIRE ?

Et encore avant, que disait la science ? Il y a des traces d’études datant de début 1900, où des cliniciens recevaient des patients avec des douleurs dans la fesse sans pour autant arriver à mettre en évidence une pathologie en lien direct avec le nerf sciatique. Ne trouvant pas d’origines claires, ils ont commencé à réfléchir à d’autres zones étiologiques.

  • En 1928, Yeoman W. publie une étude sur la relation entre l’arthrite de l’articulation sacro-iliaque et la sciatique. L’étude porte sur 100 patients (77 hommes, 23 femmes), âgés de 18 à 72 ans soit une moyenne de 44 ans.
  • 25 hommes étaient mineurs et 52 avaient des professions demandant un effort lombaire important (ouvriers, jardiniers, etc…), supposant que l’effort lombaire est un critère prédisposant.

Les 23 femmes étaient des femmes au foyer.

Tous ces patients étaient admis au Royal Bath Hospital (Harrogate, Angleterre), avec un diagnostic de sciatique. Une radio des articulations sacro-iliaques et lombo-sacrées a été réalisée sur tous les patients. Dans toutes les radios, la hanche était incluse et, dans la plupart, certaines ou toutes les vertèbres lombaires étaient montrées.

  • Classification des lésions sur les 100 patients :
  • Arthrite de l’articulation sacro-iliaque seule : 19
  • Idem, et autres lésions : 17 
  • Anomalie dans la région de l’articulation sacro-iliaque : 8
  • Arthrite de la hanche seule : 8
  • Idem, et lésion vertébrale lombaire : 4
  • Lésions diverses des vertèbres lombaires : 20

Apparence normale : 24

  • La mise en évidence de l’arthrite sacro-iliaque par une radio ne peut être faite qu’à un stade avancé de développement.

Ce stade avancé peut provoquer une réaction inflammatoire touchant le ligament sacro-iliaque antérieur, le muscle piriforme et son fascia, ainsi que les premières et deuxièmes racines sacrées qui innervent la région fessière. On peut dire que ça ressemble au syndrome du piriforme, non ?

A ce stade de mes recherches, il devenait évident qu’il y avait une problématique nosologique : différents courants thérapeutiques parlaient de quelque chose qui ressemblait à… tout en étant différent et avec son propre vocabulaire ! Et si j’ai bien compris une chose depuis que je me forme et travaille en réseau, c’est l’importance de la CIP (collaboration interprofessionnelle).

ET AUJOURD’HUI, QUEL EST LE STATUT DE LA SCIENCE ?

Pour faire l’éclairage sur ce topic, je me suis inspiré d’une vidéo du SAV des ostéo où  Mathieu Schlachet -Directeur du CFPCO – interviewe Laurent Fabre, Ostéopathe DO, expert dans la prise en charge des douleurs neuropathiques en thérapies manuelles, ainsi que d’une bibliographie accessible en fin d’article. 

Avançons…

Pour rappel, un syndrome est un ensemble de signes cliniques pouvant évoquer une maladie. 

A date, le syndrome du piriforme est officiellement :

  • Une douleur de la région fessière, ressemblant à une sciatique, non discogénique (sans compression discale), produite par une compression extra-pelvienne. 

Il s’intègre dans le cadre nosologique (un ensemble de signes permettant de classifier) des syndromes fessiers profonds et inclut les muscles pelvi-trochantériens et toutes les anomalies vasculaires ou lésions qui peuvent occuper cet espace. 

Il y a 4 signes signes cliniques permettant de le reconnaître (qui se sont construits au fil du temps avec l’expérience) :

  • présence d’une sciatalgie sans lombalgie (douleur sur le trajet du nerf sciatique sans douleur lombaire),
  • douleur de fesse majorée par la position assise (Hopayan 2018),
  • douleur à la palpation superficielle de la région de la grande incisure sciatique, 

reproduction de douleur par compression sur contraction des muscles pelvi trochantériens ou par étirement de ces muscles.

  • En 1940 Lindsay E. Beaton et Barry J. Anson ont créé une classification des différentes variations anatomiques entre le nerf sciatique et le piriforme.

Cette classification à été faite à partir de la dissection de la région fessière de 120 cas et révèle six combinaisons possibles :

  • Nerf non divisé passant en dessous du muscle : 84,2 % (fig a)
  • Divisions du nerf entre et en dessous du muscle : 11,7 % (fig b)
  • Divisions au-dessus et en dessous du muscle : 3,3 % (fig c)
  • Nerf non divisé passant dans le muscle : 0,8 % (fig d)
  • Nerf divisé passant entre et au dessus du muscle : hypothétique (fig f)

Nerf non divisé au-dessus du muscle : hypothétique (fig g)

  • .
  • Cette étude est probablement à l’origine du mythe selon lequel le piriforme pourrait comprimer le nerf sciatique.
  • Il y a 100 ans, sans imagerie médicale, nous pouvions trouver logique qu’à défaut de trouver une origine rachidienne de compression du nerf sciatique on pouvait suspecter la compression du nerf par le muscle, expliquant la douleur de la fesse. 

De nos jours, avec les moyens technologiques à notre disposition et les nouvelles connaissances en neurophysiologie, ce discours est contestable.

POURQUOI NE POUVONS NOUS PAS VALIDER CE SYNDROME ? 

  • Il n’y a pas assez de consensus d’experts sur les critères cliniques diagnostic du syndrome du piriforme.
  • Il y a un manque d’études solides permettant de diagnostiquer ce syndrome.
  • Les études cadavériques -analysant ces anomalies de passage du nerf sciatique dans le piriforme en suivant la classification de Beaton- montrent qu’il n’y a pas plus d’anomalies de passage du nerf sciatique chez des personnes qui présentaient ce syndrome que chez des personnes qui ne le présentaient pas. 

Sur des études in vivo de personnes présentant ou non ce syndrome, et après visualisation sous IRM du passage du nerf sciatique à travers le piriforme, nous constatons qu’il n’y a aucune corrélation entre le passage du nerf et le syndrome.

Il n’y a pas de corrélation entre les anomalies anatomiques et la supposition de la théorie du syndrome. Les patients présentant les critères cliniques du syndrome du fessier profond ou syndrome du piriforme ont souvent des causes dites secondaires. En médecine, “cause secondaire” est souvent synonyme de cause grave; ici on parle notamment d’abcès dans la région, de tumeurs, d’hématome, qui ne sont pas des causes traitables en thérapie manuelle. 

VIGILANCE AVEC LES SYNDROMES CANALAIRES ET AU SUR-DIAGNOSTIC 

  • Lorsque nous regardons des planches anatomiques de cette région fessière, nous pouvons voir de petits muscles allant du sacrum à la hanche, traversés par des nerfs ou des vaisseaux. Bien sûr, imaginer que la contraction de ces muscles peut “serrer” ou irriter ou abîmer les structures traversantes est très alléchant. Et cela porte même un nom en médecine : les syndromes canalaires. Je développerai dans un article ultérieur des compléments fondamentaux vous permettant de comprendre : 
  • que les syndromes canalaires sont caractérisés par des altérations de la fonction neurale (perte de conduction),
  • que le corps humain est traversé PARTOUT par des artères/veines et nerfs qui les protègent et assurent même leur nutrition. Donc heureusement… Ces fameux syndromes canalaires sont donc RARES !

Et concernant le nerf sciatique, si vous avez la chance de faire des dissections un jour (ou simplement que vous observez cela sur une vidéo), vous verrez que le muscle piriforme est bien plus fin que le nerf qui le traverse, ce dernier étant protégé par une couche de graisse conséquente. Il est donc peu probable qu’à lui seul, le piriforme arrive à générer une compression ischémiante du nerf sciatique.

En conclusion :

Je sais que la plupart d’entre vous souhaite connaître les solutions thérapeutiques et ce qui marche en cabinet. Mais l’idée est de D’ABORD savoir établir un diagnostic puis ensuite de proposer un traitement. Les solutions thérapeutiques seront abordées dans un 2ème billet de vlog.

Ce syndrome s’est donc construit depuis le début du 20ème siècle, sur des suppositions biomécaniques centrées sur les tissus, avec les connaissances de l’époque et en n’ayant pas le recul nécessaire sur le fonctionnement des muscles par rapport au système nerveux.

Nous avons peu d’études probantes validant ou réfutant ce syndrome.

Les anomalies anatomiques sont retrouvées autant sur des patients présentant un syndrome du piriforme que sur des patients n’en présentant pas. Nous ne pouvons pas affirmer que le muscle piriforme est engagé dans l’étiologie de la douleur.

  • Si un thérapeute manuel est en présence d’une douleur fessière :
  • pouvant irradier dans le membre,
  • majorée en position assise,
  • reproduite par une compression ou une contraction ou un étirement du muscle piriforme,
  • avec une palpation douloureuse de la grande incisure ischiatique,

…et qu’il n’y a pas de modulation de la symptomatologie, il faut penser à une cause secondaire (plus grave et donc aux drapeaux rouges) et référer en consultation médicale plutôt que de débuter un traitement manuel.

Cela pourrait s’appliquer à tous les syndromes canalaires, car il y a énormément de localisations anatomiques où les muscles sont traversés par des nerfs et des vaisseaux ; cela est complètement normal. En effet, cette proximité neuro-musculo-vasculaire répond à des fonctions physiologiques nécessaires de protection et de trophicité (nourrissage des structures). 

Vous pourrez retrouver l’interview de Laurent Fabre, ainsi que d’autres vidéos sur le même thème sur la Playlist Youtube ainsi que les références, à partir desquelles j’ai écrit cet article.

Si tout ce qui tourne autour des neurosciences vous intéresse n’hésitez pas à regarder les formations et vidéos de techniques et cours magistraux du CFPCO.

Yeoman W. The relation of arthritis of the sacroiliac joint to sciatica. Lancet 1928;1119–22. 

Beaton L, Anson B. The sciatic nerve and the piriformis muscle: their interrelation a possible cause of coccygodynia. J Bone Joint Surg 1938;20: 686–8. 

Hopayian K, Danielyan A. Four symptoms define the piriformis syndrome: an updated systematic review of its clinical features. Eur J Orthop Surg Traumatol. 2018 Feb;28(2):155-164. doi: 10.1007/s00590-017-2031-8. Epub 2017 Aug 23. PMID: 28836092.

Vassalou EE, Katonis P, Karantanas AH. Piriformis muscle syndrome: A cross-sectional imaging study in 116 patients and evaluation of therapeutic outcome. Eur Radiol. 2018 Feb;28(2):447-458. doi: 10.1007/s00330-017-4982-x. Epub 2017 Aug 7. PMID: 28786005.

Bartret AL, Beaulieu CF, Lutz AM. Is it painful to be different? Sciatic nerve anatomical variants on MRI and their relationship to piriformis syndrome. Eur Radiol. 2018 Nov;28(11):4681-4686. doi: 10.1007/s00330-018-5447-6. Epub 2018 Apr 30. PMID: 29713768.

1 Comment

Karine Michelle juin 9, 2022

Merci pour cet article Tiago, hâte de lire la suite !

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