La prise en charge des douleurs liées aux troubles nerveux fait partie du champ de compétence de la thérapie manuelle, ainsi que l’accompagnement et la récupération des neuropathies périphériques (ce dernier étant plus du domaine de la kinésithérapie).
L’examen neurologique est l’outil essentiel dans cette prise en charge car ses intérêts sont multiples.
Tout d’abord, quand cet examen neurologique est normal, il permet tout d’abord de rassurer un.e patient.e qui pourrait avoir une représentation de sa douleur assez effrayante comme un nerf « pincé », « bloqué » ou « comprimé », par un disque « écrasé, usé » ou une colonne vertébrale « tassée ».
Ensuite il permet aussi de diagnostiquer un vrai trouble neurologique (myélopathie, radiculopathie, neuropathie…) et d’évaluer l’urgence de la situation.
Enfin quand le problème de nerf est déjà mis en évidence, l’examen neurologique permet le suivi de la récupération, si celle-ci est envisageable.
Dans une atteinte nerveuse par compression, plusieurs phénomènes physiopathologiques sont possiblement mis en jeu (ischémie, œdème, neuroinflammation, démyélinisation, sensibilisation centrale…). Ces phénomènes donnent des signes cliniques divers et variés de perte de fonction neurologique (hypoesthésie, perte de force motrice, diminution de réflexe…) et de gain de fonction neurologique (mécanosensibilité neurale, allodynie, hyperalgésie, fourmillement, picotement…)
Ceux-ci sont résumés dans le schéma ci-dessous, traduit et adapté d’A. Schmid et al 2020 :
Ce sont ces symptômes et signes cliniques qui nous permettent d’évaluer la situation globale d’une atteinte nerveuse.
Deux revues de la littérature (Tawa et al 2016 et Tawa et al 2017), concluent que concernant le diagnostic des radiculopathies et des compressions de racines nerveuses, non seulement l’imagerie n’est pas un gold standard (ils conseillent donc de corréler l’imagerie à l’examen neurologique), mais aussi que l’examen neurologique, dû entre autre au faible nombre d’études de précision diagnostic, à la variabilité de réalisation de l’examen et à la mésentente sur l’utilité de certains tests, ne nous permet pas d’établir de règles strictes de réalisation de l’examen neurologique.
C’est dans cet esprit que Bender, Dove et Schmid 2022, proposent dans le JOSPT 6 défis à relever concernant l’évaluation et la prise en charge des neuropathies périphériques, ainsi que des suggestions construites sur des principes neuroscientifiques à jour, afin d’élever le niveau de l’examen neurologique et de surmonter ces défis.
Ils décident de concentrer leur attention essentiellement sur les signes de perte de fonction étant donné que le gain de fonction n’est pas spécifique aux neuropathies.
Associé à cet article ils fournissent généreusement des vidéos de démonstration qui détaillent leurs recommandations : lien
Voici résumé les 6 défis et recommandations proposés par Bender, Dove et Schmid 2020 :
Défi 1 : Repenser l’approche de l’évaluation des dermatomes
Ca fait déjà un bail qu’on en parle !!!
L’examen de la sensibilité se résume souvent à la recherche des zones classiques des dermatomes pour détecter l’atteinte d’une racine et même si c’est plus rapide, cela présente plusieurs limites (dont certaines ont déjà été discutées précedemment) : le chevauchement des racines ne permet pas d’être précis, la prévalence des neuropathies plus importantes que des radiculopathies ne justifie pas que l’on se focalise sur ces zones uniquement.
Recommandation 1:
Défi 2 : Tester toutes les fibres nerveuses (grosses et petites)
C’est non Négociable !!!
Le dépistage neurologique se concentrent traditionnellement uniquement sur le tact épicritique, la force musculaire et les réflexes ostéotendineux. Ces tests fournissent des informations sur les grosses fibres, mais ne donnent pas d’infos sur les 80% des fibres restantes que sont les petites fibres (nociception, chaud/froid). Et pourtant il existe plusieurs situations cliniques ou les neuropathies ne touchent que les petites fibres.
Recommandation 2 :
Défi 3 : La comparaison avec le côté controlatéral
Attention aux pièges !!!
Chez certain.e.s patient.e.s atteints de radiculopathie, traumatisme nerveux ou neuropathie post zostérienne, les mécanismes de perte sensitive semblent s’étendre au côté controlatéral.
De nombreuses neuropathies périphériques peuvent être bilatérales (par exemple, la polyneuropathie diabétique, la sténose spinale lombaire, le syndrome du canal carpien) et elles peuvent aussi masquer les déficits sensitifs et moteurs lors de la comparaison avec le côté opposé.
Recommandation 3 :
Lors de l’interprétation des changements en présence de déficits moteurs ou sensitifs bilatéraux, la comparaison controlatérale n’est plus utile.
Défi 4 : Les éléments à prendre en compte pour tester le myotome
La fatigabilité !!!
Tout comme pour les dermatomes, il n’y a pas de test musculaire de référence permettant de différencier une atteinte de racine ou d’un tronc nerveux périphérique car il y existe un recouvrement des racines. D’autre part chez les patient.e.s costaud.e.s ou la force est relativement préservée (M4 ou M4+), on pourrait rater une neuropathie/radiculopathie.
Recommandation 4
Afin de différencier un myotome d’un territoire moteur, il suffit de connaitre sa neuroanatomie (NDLR 😉). Plus sérieusement les auteurs donnent un exemple concret lorsque l’on suspecte une racine ou un nerf (entre C8 et nerf radial qui innerve le long extenseur du I) de tester un muscle innervé par le nerf et non par la racine (exemple le brachioradial) et de tester un muscle innervé par la racine et non le nerf (exemple l’abducteur du V).
Pour ne pas rater une fatiguabilité (M4), pensez évaluer la fonction motrice avec un effort physique ou en utilisant des tests répétés et les interpréter dans le contexte des autres résultats.
Défi 5 : Interpréter les résultats des réflexes
Prendre du recul !!!
Deux informations importantes à propos des réflexes :
Recommandation 5
Même si les peuvent donc fournir des informations objectives importantes, il est important d’interpréter les résultats dans le contexte d’un examen neurologique complet et d’un cadre de raisonnement clinique solide.
Défi 6 : Celui du suivi…
Quantifier, Quantifier, QUANTIFIER !!!
Tout comme l’on prend des marqueurs et que l’on quantifie la douleur ou bien les amplitudes pour mesurer les progrès ou la détérioration dans le champ musculo-squelettique, nous devrions en faire de même pour le système nerveux périphérique. Cela pourrait nous permettre de motiver/rassurer un patient quand cela s’améliore (car la régénération nerveuse prend du temps) ou de le réorienter si cela stagne ou si cela se détériore.
Recommandation 6
+ Il existe des solutions pratiques et peu onéreuses pour aider les cliniciens à quantifier l’étendue des déficits sensitifs (monofilaments, Diapason Rydel Seiffer, neuropen…) :
+ Cartographier la zone de perte sensitive;
+ Pour la motricité utiliser l’échelle l’échelle à 5 points du British Medical Research Council ou un dynamomètre;
+ Pour le test des réflexes même si la validité et la fiabilité des échelles est inconnue chez les patient.e.s atteint.e.s de neuropathies, l’échelle Normal-Aboli-Réduit-Hyper peut être utilisée pour quantifier.
En conclusion:
Ces recommandations sont du pain béni pour améliorer notre approche des neuropathies. Elles proposent une méthode simple pour évaluer et quantifier les données pour pouvoir les interpréter dans un cadre d’un raisonnement clinique cohérent et solide. J’ai assisté à un séminaire d’A. Schmid en 2018 et depuis ma compréhension clinique s’est vraiment affinée ainsi que ma prise en charge.
Si vous avez déjà assisté à un séminaire organisé avec Anaïs Rot, Bryan Littré et/ou moi-même, vous savez déjà que nous pratiquons cette évaluation mais que nous y ajoutons aussi un élément en plus dans ce bilan.
Pour ceux qui ne nous ont pas encore rencontré, nous vous proposons donc un septième défi avec une suggestion/recommandation non référencé pour l’instant 😉 :
Défi Bonus : Le bilan en charge
Un véritable « game changer » !!!
Il existe aujourd’hui dans la littérature des preuves que certain.e.s patient.e.s présentant des imageries standards normales avec des symptômes positionnels (perte de fonction, douleur). On arrive chez eux.elles à corréler la pathoanatomie aux symptômes uniquement quand on leur fait des imageries dynamiques en charge.
Proposition bonus :
Si vous souhaitez venir vous amusez avec nous sur la prise en charge des douleurs liées aux troubles de nerveux c’est ici
Je suis ostéopathe, d’abord clinicien et puis mon parcours m’a amener a participer à des projets de recherche et d’enseignement.
A la sortie de mes études, remplies de dogmes thérapeutiques de la SEO (sainte église ostéopathique), je ne savais pas faire grand chose, et je ne comprenais pas pourquoi mes traitements fonctionnaient ou pas. Cette approche ne convenait pas à ma démarche d’analyse critique. J’ai donc choisi de suivre un parcours plus universitaire et je me suis plongé dans l’Evidence Base Medecine en participant à des publications d’articles scientifiques et en travaillant sur des projets de recherches (toujours en cours). Et je me suis rendu compte que comme dans le monde de l’ostéopathie, la médecine était aussi pleines de fausses croyances, et que leur modèle biomédical de la prise en charge de la douleur ne convenait pas vraiment.
C’est dans les neurosciences que j’ai pu enfin trouvé la voie du milieu entre tradition et sciences biomédicales.
Je me suis donc intéressé aux mécanismes neurophysiologiques de la douleur et grâce au courant Australien très en pointe (Robert Elvey, Lorimer Moseley, David Butler, Peter O’sullivan…) j’ai trouvé un intérêt particulier à prendre en charge la douleur sur le modèle bio-psycho-social, en portant un intérêt particulier aux douleurs du nerf (neuropathique). Dans le suivi des travaux d’Elvey, c’est en 2007 que j’ai eu la chance de rencontrer et suivre un élève de Bob Elvey, Philip Moulaert que j’assiste maintenant.
Durant mes différentes formations à l’étranger je me suis rendu compte qu’il y a avait peu de français. Je me suis aussi rendu compte que la langue était un barrage à l’arrivée des découvertes révolutionnaires de ces 15 dernières années, qui sont en train de changer la thérapie manuelle. Je voulais partager cela avec les thérapeutes manuels qui sont intéressés par ces informations mais qui n’ont pas le temps ou la compétence pour s’informer sur le sujet.
Les post sur ce blog auront donc deux buts :
• apporter des informations à jour sur la douleur et la thérapie manuelle,
• susciter l’analyse critique de notre pratique au vu des meilleurs niveaux de preuves disponibles